Je
m’accorderai ici sur les points négatifs de la formation.
Bien
évidemment, tout est pas noir. Mais le but est d’expliquer pourquoi les études
qui mènent à la formation du pharmacien d’officine sont dépassées, inadaptées.
Rien de nouveau à vrai dire. Tout cela est connu. Mais rien ne change. Qui sait pourquoi...?
1.
Il
y a déjà le fait qu’elles sont longues, trop longues.
Pour un étudiant qui souhaite exercer le
métier de pharmacien d’officine, les études durent 6 ans. En théorie. Car en
pratique, avec le concours sélectif de la première année (25% d’admis), les
étudiants qui se réorientent après 2 années d’échec en médecine notamment
(cette voie a disparu depuis la réforme instaurant une année commune pour la
médecine / pharmacie / sage-femme / dentaire) et la thèse qui traîne
énormément, rares sont ceux qui terminent leurs études en 6 ans.
A titre d’exemple, un ingénieur bac+5
construit de beaux avions qui font entrer 800 passagers.
Ou par exemple, les écoles de commerce c’est
bac+5. Bon, ce n’est pas le meilleur vu le contexte économique et la dette
cumulée. Je vous l’accorde.
Par rapport au reste du monde, les études
durent de 4 à 6 ans, mais lorsqu’elles durent 6 ans, les pharmaciens n’auront
pas les mêmes responsabilités [1].
En France, le pharmacien a le droit de
« prescrire » un médicament qui sera remboursé par l’Assurance
Maladie : la pilule du lendemain. Une révolution !
Les 4 premières années d’études sont plus ou
moins communes à tous les pharmaciens (officine, industrie, internat). Puis,
chacun se spécialise : 2 ans supplémentaires pour l’officine et
l’industrie (6 ans en tout) et 9 ans en tout pour l’internat.
Je n’ai pas trouvé le coût pour le
contribuable mais on estime le coût d’un étudiant en université à 10 000€
l’année actuellement. Pour former un pharmacien d’officine, il faut donc
compter au moins 60 000€ si ce n’est beaucoup plus.
2.
Mais
s’il faut réformer ces études, c’est surtout pour qu’elles soient adaptées aux
besoins du patient, au métier en soi. Car force est de constater que les études
telles qu’elles sont proposées aujourd’hui ne sont pas du tout
« pratiques » par rapport à ce qu’on nous demande sur le terrain.
Par exemple, ¼ de la formation est composé de
sciences mathématiques, physiques ou chimiques [1] alors qu’au Canada (durée
d’étude : 5 ans) cette formation est inexistante.
Concrètement, prenons l’exemple de la chimie
organique.
Il s’agit là d’une petite partie de la chimie
enseignée au cours du cursus.
En première année, il y a 50h de cours de
chimie organique et en deuxième année, 40h de cours + 20h de travaux pratiques.
110h de cours TRES INTERESSANT. Mais
malheureusement totalement en contradiction avec les compétences requises pour
le métier. Et j’expliciterai pourquoi.
Inutile de vous dire que je n’ai jamais jugé
nécessaire d’expliquer le réarrangement de Beckmann a un patient, et
d’ailleurs, je ne m’en souviens de rien du tout.
Par ailleurs, 40h de cours sont par exemple
consacrés à l’hydrologie.
Inutile de vous dire que le conseil en
hydrologie se limitera à expliquer au patient de ne pas jeter les MNU
(Médicaments Non Utilisés) dans la chasse d’eau.
A l’inverse, le médicament en lui-même, la pharmacologie,
la pharmacocinétique et la sémio-pathologie représentent 74% du cursus canadien
contre 32% en France.
Résultat : Un pharmacien québecquois
désirant travailler en France n’aura besoin que de 6 mois de stage. A
l’inverse, un pharmacien français qui veut travailler au Québec aura en général
besoin d’une remise à niveau de 2 ans environ.
Comment se manifeste cette absurdité de
l’organisation des cours ?
55% des femmes de 15-50 ans en France
utilisent la pilule contraceptive. [4]
En France, nous avons jugé utile d’expliquer
comment on synthétise les oestrogènes et la progestérone, quels sont les
dérivés synthétisés, quelles sont les impuretés qui en découlent…
Quand à l’utilisation, on aura 3h de cours au
total sur la contraception : 1,5h pendant l’endocrinologie et 1,5h pendant
les cours de pratique officinale (réservés aux étudiants ayant choisi la
filière officine plutôt).
Les problèmes de stérilité seront évoqués en
long, en large et de travers (épidémiologie, toxicologie, histoire…).
Mais lorsqu’il s’agit des médicaments
utilisés, ils feront l’objet d’un petit ED en 6ème année et puis
basta. Jusque là, lorsqu’il arrive une ordonnance de FIV, je prie le ciel pour
que le médecin ait expliqué l’ordonnance à ma patiente. Je n’ai aucune idée de
la stratégie thérapeutique.
C’est pas comme s’il y avait un nombre
croissant de couple ayant recours à cette technique. Si, me ditez-vous…
Spécialiste du médicament, me
dites-vous ? Pas vraiment dans ce cas-là, pendant le cursus.
Je n’ai pris ici qu’un exemple concret parmi
tant d’autres.
Bien évidemment, sur beaucoup d’autres
sujets, la formation est bien faite. Mais il reste trop d’imperfections pour un
cursus aussi long.
3.
En
effet, le temps consacré à tout ce qui entoure le médicament, et où le rôle du
pharmacien est tout aussi important, se révèle négligeable.
Une fois le diplôme obtenu (ou pas encore,
car pas encore thésé), il faut chercher un emploi ou plus tard, s’installer.
Prenons le cas où l’on cherche un emploi. Qui
dit emploi, dit en temps de crise notamment, un bon CV. Et ce qui est important
dans l’officine, après le médicament, ce sera l’orthopédie ou le maintient à
domicile. On ne nous demande pas d’expliquer la modèle de Bohr ou de faire
appel au théorème de Bayes sur lesquels on aura plongé des centaines d’heures.
Une chance que ces noms me viennent à l’esprit.
Revenons à nos moutons. On insistera sur le
fait que l’orthopédie, c’est très important. Il faut bien prendre les mesures,
bien s’adapter aux besoins du patient. Arrive le temps de la formation.
L’orthopédie, si vous avez eu la chance de
faire une 6ème année officine, vous aurez un grand maximum de 10h de
cours. Non, vous n’hallucinez pas. 6 ans d’études au minimum et l’orthopédie
est torchée en 10h. Quant au maintient à domicile, on est plus gracieux, les
stomies, les aérosols, les lits médicalisés, les lecteurs de glycémie, on va
être plus large... Laaaaaarge en fait, puisqu’on va y consacrer 20h de cours.
Inutile de vous dire qu’avec le temps qu’on y consacre, le tire-lait, on compte
sur l’instinct maternel pour s’en servir. Trop facile, on ne vous le montrera
pas.
Je souhaite quand même rappeler qu’une année
universitaire pleine, c’est 600h de cours (soit les 4 premières années), puis
en 5ème année 300h (mi-temps externat en pharmacie) et environ 100h
d’enseignements en 6ème année puisqu’il y a un stage officinal de 6
mois à temps plein.
Donc, après ces 6 belles années (au minimum),
certains se disent : « Ah ben tiens, on n’a pas eu le temps de tout
voir, il faut donc qu’on passe un DU (diplôme d’université) » dont le coût
avoisine 1 300€ pour un DU, une
centaine d’heures de cours.
Donc là, nous sommes en décembre 2012.
Vous vous renseignez pour savoir qu’en est-il
du DU d’orthopédie, et bien, on vous dit à Paris 5 qu’il est déjà saturé pour l’année
prochaine. Trop de demandes ! Tu m’étonnes !
Vous vous dites que c’est vers le MAD
(maintien à domicile) que vous voulez vous tourner. Ah ben pas de chance, ça
fait 3 ans qu’il n’est plus organisé. Trop difficile à mettre en place à Paris.
Ce n’est pas comme si c’était la plus grande fac de France.
On me signale dans mon oreillette que si. Bon…
Et puis certains se disent que le chômage
commence à faire son apparition, il vaut mieux essayer de s’installer. Encore
faut-il avoir de l’argent. Et même si on en a, il faut savoir flairer la bonne
affaire. Car les temps sont durs, l’IGAS nous a pondu un joli rapport de près
de 200 pages, préconisant la fermeture de 2 300 pharmacies d’officine (sur
les 22 500) en 4 ans [5].
Et là, vous vous dites merci la fac, enfin tu
me sers à quelques choses. Tu dois former des professionnels de santé en
premier lieu, mais ça t’es pas cap de le faire comme il se doit lors de la
formation initiale. Donc tu formes sans doute de bons chefs d’entreprise.
Car en 5ème année de la filière
officine, tu consacres non pas une, non pas 2 mais 20h de gestion.
Et oui, vous l’aurez compris, la gestion ce
sera aussi la formation sur le tas.
On me signale dans mon oreillette qu’une
pharmacie sur deux est dans le rouge [6]. Tiens, la gestion, ça n’a pas l’air d’être
le point fort de la formation.
BREF, je n’insisterai pas plus. Je pense que
le message est assez clair.
4.
Arrive
le temps de se poser la question de la confiance accordée par les autres
professionnels de santé et surtout par le patient.
On pense que
finalement, le pharmacien ne doit pas se cantonner à dispenser des médicaments,
qu’il doit en assurer le suivi, blabla. Donc la Convention met en place des
séances d’éducation thérapeutique, pour diminuer le risque de mésusage du
médicament. Dans un mois, on commence par les AVK, 17 000 hospitalisations
et 5 000 décès en France [7]. Et puis, vous voulez savoir ce qu’en pensent
les autres professionnels de la santé, comment ils vous voient. Mais cela, je
ne vous détaillerai pas plus. Si l’envie vous en prend, Grange Blanche en a
parlé. [8].
[4]http://sante.lefigaro.fr/actualite/2011/10/31/15262-pilule-est-prescrite-maniere-trop-automatique