dimanche 2 décembre 2012

Pourquoi est-il nécessaire de réformer les études de pharmacie (d’officine)?




Je m’accorderai ici sur les points négatifs de la formation.
Bien évidemment, tout est pas noir. Mais le but est d’expliquer pourquoi les études qui mènent à la formation du pharmacien d’officine sont dépassées, inadaptées.

Rien de nouveau à vrai dire. Tout cela est connu. Mais rien ne change. Qui sait pourquoi...?
 
1.     Il y a déjà le fait qu’elles sont longues, trop longues.
Pour un étudiant qui souhaite exercer le métier de pharmacien d’officine, les études durent 6 ans. En théorie. Car en pratique, avec le concours sélectif de la première année (25% d’admis), les étudiants qui se réorientent après 2 années d’échec en médecine notamment (cette voie a disparu depuis la réforme instaurant une année commune pour la médecine / pharmacie / sage-femme / dentaire) et la thèse qui traîne énormément, rares sont ceux qui terminent leurs études en 6 ans.
A titre d’exemple, un ingénieur bac+5 construit de beaux avions qui font entrer 800 passagers.
Ou par exemple, les écoles de commerce c’est bac+5. Bon, ce n’est pas le meilleur vu le contexte économique et la dette cumulée. Je vous l’accorde.

Par rapport au reste du monde, les études durent de 4 à 6 ans, mais lorsqu’elles durent 6 ans, les pharmaciens n’auront pas les mêmes responsabilités [1].
En France, le pharmacien a le droit de « prescrire » un médicament qui sera remboursé par l’Assurance Maladie : la pilule du lendemain. Une révolution !

Les 4 premières années d’études sont plus ou moins communes à tous les pharmaciens (officine, industrie, internat). Puis, chacun se spécialise : 2 ans supplémentaires pour l’officine et l’industrie (6 ans en tout) et 9 ans en tout pour l’internat.

Je n’ai pas trouvé le coût pour le contribuable mais on estime le coût d’un étudiant en université à 10 000€ l’année actuellement. Pour former un pharmacien d’officine, il faut donc compter au moins 60 000€ si ce n’est beaucoup plus.

2.     Mais s’il faut réformer ces études, c’est surtout pour qu’elles soient adaptées aux besoins du patient, au métier en soi. Car force est de constater que les études telles qu’elles sont proposées aujourd’hui ne sont pas du tout « pratiques » par rapport à ce qu’on nous demande sur le terrain.

Par exemple, ¼ de la formation est composé de sciences mathématiques, physiques ou chimiques [1] alors qu’au Canada (durée d’étude : 5 ans) cette formation est inexistante.
Concrètement, prenons l’exemple de la chimie organique.
Il s’agit là d’une petite partie de la chimie enseignée au cours du cursus.
En première année, il y a 50h de cours de chimie organique et en deuxième année, 40h de cours + 20h de travaux pratiques.
110h de cours TRES INTERESSANT. Mais malheureusement totalement en contradiction avec les compétences requises pour le métier. Et j’expliciterai pourquoi.
Inutile de vous dire que je n’ai jamais jugé nécessaire d’expliquer le réarrangement de Beckmann a un patient, et d’ailleurs, je ne m’en souviens de rien du tout.

Par ailleurs, 40h de cours sont par exemple consacrés à l’hydrologie.
Inutile de vous dire que le conseil en hydrologie se limitera à expliquer au patient de ne pas jeter les MNU (Médicaments Non Utilisés) dans la chasse d’eau.

A l’inverse, le médicament en lui-même, la pharmacologie, la pharmacocinétique et la sémio-pathologie représentent 74% du cursus canadien contre 32% en France.

Résultat : Un pharmacien québecquois désirant travailler en France n’aura besoin que de 6 mois de stage. A l’inverse, un pharmacien français qui veut travailler au Québec aura en général besoin d’une remise à niveau de 2 ans environ.

Comment se manifeste cette absurdité de l’organisation des cours ?
55% des femmes de 15-50 ans en France utilisent la pilule contraceptive. [4]
En France, nous avons jugé utile d’expliquer comment on synthétise les oestrogènes et la progestérone, quels sont les dérivés synthétisés, quelles sont les impuretés qui en découlent…
Quand à l’utilisation, on aura 3h de cours au total sur la contraception : 1,5h pendant l’endocrinologie et 1,5h pendant les cours de pratique officinale (réservés aux étudiants ayant choisi la filière officine plutôt).
Les problèmes de stérilité seront évoqués en long, en large et de travers (épidémiologie, toxicologie, histoire…).
Mais lorsqu’il s’agit des médicaments utilisés, ils feront l’objet d’un petit ED en 6ème année et puis basta. Jusque là, lorsqu’il arrive une ordonnance de FIV, je prie le ciel pour que le médecin ait expliqué l’ordonnance à ma patiente. Je n’ai aucune idée de la stratégie thérapeutique.
C’est pas comme s’il y avait un nombre croissant de couple ayant recours à cette technique. Si, me ditez-vous…
Spécialiste du médicament, me dites-vous ? Pas vraiment dans ce cas-là, pendant le cursus.
Je n’ai pris ici qu’un exemple concret parmi tant d’autres.
Bien évidemment, sur beaucoup d’autres sujets, la formation est bien faite. Mais il reste trop d’imperfections pour un cursus aussi long.

3.     En effet, le temps consacré à tout ce qui entoure le médicament, et où le rôle du pharmacien est tout aussi important, se révèle négligeable.

Une fois le diplôme obtenu (ou pas encore, car pas encore thésé), il faut chercher un emploi ou plus tard, s’installer.
Prenons le cas où l’on cherche un emploi. Qui dit emploi, dit en temps de crise notamment, un bon CV. Et ce qui est important dans l’officine, après le médicament, ce sera l’orthopédie ou le maintient à domicile. On ne nous demande pas d’expliquer la modèle de Bohr ou de faire appel au théorème de Bayes sur lesquels on aura plongé des centaines d’heures. Une chance que ces noms me viennent à l’esprit.

Revenons à nos moutons. On insistera sur le fait que l’orthopédie, c’est très important. Il faut bien prendre les mesures, bien s’adapter aux besoins du patient. Arrive le temps de la formation.
L’orthopédie, si vous avez eu la chance de faire une 6ème année officine, vous aurez un grand maximum de 10h de cours. Non, vous n’hallucinez pas. 6 ans d’études au minimum et l’orthopédie est torchée en 10h. Quant au maintient à domicile, on est plus gracieux, les stomies, les aérosols, les lits médicalisés, les lecteurs de glycémie, on va être plus large... Laaaaaarge en fait, puisqu’on va y consacrer 20h de cours. Inutile de vous dire qu’avec le temps qu’on y consacre, le tire-lait, on compte sur l’instinct maternel pour s’en servir. Trop facile, on ne vous le montrera pas.
Je souhaite quand même rappeler qu’une année universitaire pleine, c’est 600h de cours (soit les 4 premières années), puis en 5ème année 300h (mi-temps externat en pharmacie) et environ 100h d’enseignements en 6ème année puisqu’il y a un stage officinal de 6 mois à temps plein.

Donc, après ces 6 belles années (au minimum), certains se disent : « Ah ben tiens, on n’a pas eu le temps de tout voir, il faut donc qu’on passe un DU (diplôme d’université) » dont le coût avoisine  1 300€ pour un DU, une centaine d’heures de cours.

Donc là, nous sommes en décembre 2012.
Vous vous renseignez pour savoir qu’en est-il du DU d’orthopédie, et bien, on vous dit à Paris 5 qu’il est déjà saturé pour l’année prochaine. Trop de demandes ! Tu m’étonnes !
Vous vous dites que c’est vers le MAD (maintien à domicile) que vous voulez vous tourner. Ah ben pas de chance, ça fait 3 ans qu’il n’est plus organisé. Trop difficile à mettre en place à Paris. Ce n’est pas comme si c’était la plus grande fac de France.
On me signale dans mon oreillette que si. Bon…

Et puis certains se disent que le chômage commence à faire son apparition, il vaut mieux essayer de s’installer. Encore faut-il avoir de l’argent. Et même si on en a, il faut savoir flairer la bonne affaire. Car les temps sont durs, l’IGAS nous a pondu un joli rapport de près de 200 pages, préconisant la fermeture de 2 300 pharmacies d’officine (sur les 22 500) en 4 ans [5].
Et là, vous vous dites merci la fac, enfin tu me sers à quelques choses. Tu dois former des professionnels de santé en premier lieu, mais ça t’es pas cap de le faire comme il se doit lors de la formation initiale. Donc tu formes sans doute de bons chefs d’entreprise.
Car en 5ème année de la filière officine, tu consacres non pas une, non pas 2 mais 20h de gestion.
Et oui, vous l’aurez compris, la gestion ce sera aussi la formation sur le tas.

On me signale dans mon oreillette qu’une pharmacie sur deux est dans le rouge [6]. Tiens, la gestion, ça n’a pas l’air d’être le point fort de la formation.

BREF, je n’insisterai pas plus. Je pense que le message est assez clair.


4.     Arrive le temps de se poser la question de la confiance accordée par les autres professionnels de santé et surtout par le patient.
On pense que finalement, le pharmacien ne doit pas se cantonner à dispenser des médicaments, qu’il doit en assurer le suivi, blabla. Donc la Convention met en place des séances d’éducation thérapeutique, pour diminuer le risque de mésusage du médicament. Dans un mois, on commence par les AVK, 17 000 hospitalisations et 5 000 décès en France [7]. Et puis, vous voulez savoir ce qu’en pensent les autres professionnels de la santé, comment ils vous voient. Mais cela, je ne vous détaillerai pas plus. Si l’envie vous en prend, Grange Blanche en a parlé. [8].








[8]http://grangeblanche.com/2012/04/23/avk-pharmaciens-et-medecins-lavis-dune-non-proferssionnelle-de-sante/