Avec
vieil ami, nous avons une relation peu commune. J’ai connu vieil ami sur les
bancs de la fac... En fait, même pas, il ne venait jamais en cours, donc c’était
au début des TP. Vieil ami est celui qui m’a trouvé mon premier boulot en
pharmacie et par extension, mon premier job de pharmacien adjoint.
Mais
vieil ami est tout ce que je ne suis pas : mal organisé, « bon
vendeur », beau parleur, hyper flexible sur la législation. Et un profil
bien recherché dans beaucoup de pharmacies actuellement. Nous avons une
relation amicale mais compte tenu de mes pratiques légèrement plus strictes, je
suis obligé de faire attention à ses propositions (qu’il faut que j’écoute
quand même). Il travaille beaucoup.
Un
jour, ivre (de fatigue ou plutôt totalement à jeun) j’ai discuté de travail
régulier le dimanche... Ou ponctuel, qui sait ? Et aujourd’hui, il m’appelle
en urgence pour un entretien d’embauche. Ca ne me va pas trop mais allons-y
pour tester...
Et
me voilà donc à un entretien d’embauche. Le contexte est assez particulier car
il s’agit d’un désert médical (moyenne de 9 000 actes / médecins / an) et
cerise sur le gâteau : beaucoup de patients ne parlent pas français...
Désert médical non pas parce qu’il n’y a pas de médecin mais plutôt parce qu’il
y en a très peu par rapport au nombre d’habitants. En fait, il faut beaucoup de
patience dans ce coin-là... Et souvent fermer les yeux, sur la pauvreté, sur la
législation, et sur je ne sais quoi aussi... Parce qu’il y a aussi la
concurrence (ouais... désert médical pas pharmaceutique)... Concurrence de ouf
mais j’en resterais là.
L’entretien
débute par des cas cliniques (comme si le contexte n’était pas un défi en
soi-même). Un bébé à fesses irritées, pour lequel j’arrive à rappeler qu’il n’a
pas de pâte à l’eau (ça a l’air d’aller, quoique..). Puis l’angine, la fameuse.
Et nous ne sommes pas d’accord. Absolument pas. Car je pose des questions
fermées (Fièvre ou pas ? Mal à avaler ou pas ?). Car une angine, c’est
facilement 15€ pour la pharmacie. Le problème, c’est que 15€ pour une angine,
je réfléchis... C’est très rare pour moi. Associer un anesthésique local et un
antiseptique ? Oui. Associer des pastilles et un collutoire ? Je le
fais. Mais malgré cela, 15€ c’est beaucoup. Bon, pour le coup, les grands
vendeurs sont parfois irratrapables. Lorsqu’on leur demande s’ils prennent
eux-mêmes 4 produits pour un mal de gorge la réponse est oui. Comme les grands
professeurs de médecine qui s’autoprescrivent du Crestor°. Comme les médecins
généralistes qui se double-vasoconstrictorisent pour un nez bouché. Comme les
pharmaciennes qui se prennent de l’Oscilococcinum°. Les pharmaciens avec leurs
vitamines et cetera. Même pas de dissonance cognitive (Ahhh... Vous avez vu, j’ai
calé une notion intéressante dans mon article pourri hein ! Vous
réfléchirez).
J’ai même posé la question si le nez n’a pas été pris et
proposé du sérum physiologique... Mais là encore, pas d’accord... Il faut absolument de l’hypertonique. Bref,
on peut émettre l’hypothèse qu’en plus d’être mauvais vendeur, je suis à côté
de mes pompes... J’aurais bien aimé savoir combien des patients que je
conseille vont ensuite voir le médecin car insatisfait de ma « prise en
charge du rhume »...
Puis les langues sur mon CV. J’en parle plusieurs mais
elles ne me servent pas à grand-chose dans ce contexte là... Je tape juste à
côté... Langues voisines que je n’ai jamais réussies à maîtriser. Et
pourtant...
Petite pause, il faut bouger la voiture... Retour du
pharma dans 5mn. J’ai l’impression de connaître ce coup là. 1mn, puis 2mn puis
5mn et je sors le chronomètre. Retour au bout de 12mn (en +). Pas d’interprétation
supplémentaire... Pourtant, pas du tout la même philosophie du métier. Et de
nouveau l’entretien. Puis surtout les patients à servir.
« Personne sans ordonnance SVP ». Un
Lipanthyl° en générique demande le patient. Hoplà, aucune question et pas d’enregistrement
en informatique de l’identité. 2 boîtes d’inhibiteur de phosphodiestérase de
type 5 pour le bled ? Yolo ! Et là, Twitter et son rêve idyllique du
modèle québecquois me fait rire... Ou pleurer ?
Puis on discute, on discute... Il me donne une ou deux
astuces intéressantes pour vendre des produits... J’entends une ou deux astuces
intéressantes car je suis mauvais vendeur parfois... Proposer oui, mais
incapable de vendre un produit alors que j’estime nécessaire.
Et
nous évoquons la situation de moyenne ville, le terrain, difficile... Des mises
en situation plus embêtantes : que faire face un patient qui n’a
absolument pas les moyens de sortir 23€ ? Une patiente avec sa cystite qui
ne peut vraiment pas consulter (et c’est justifié) ? La rage dentaire qui
n’est plus soulagée par les antalgiques de palier 2 ? Il faut faire des
compromis dans moyenne ville, difficile de faire autrement.
Voilà.
Coordonnées mis de côté. Je pensais m’enfuir, je pensais qu’il ne voudrait pas
de moi. Et pourtant...