Edit (19/04/2015) : Thomas a depuis son propre blog, avec des articles intéressants sur la pharmacie au Québec. Vous pouvez le retrouver ici.
Bonjour à tous,
Bonjour à tous,
Suite à de nombreuses demandes, je vais donc faire un
descriptif de mon aventure au Québec comme pharmacien. Je m’appelle Thomas et
j’ai 26 ans (bientôt 27). Tout d’abord je tiens à préciser deux points
importants : le premier est qu’il s’agit de mon expérience personnelle et
de mon parcours. Il est possible que d’autres personnes ayant vécu la même
chose ne partagent pas mon avis. Le deuxième point est le motif du
départ ; je suis venu vivre au Québec par j’y ai rencontré ma douce moitié
il y a quelques années. Forcément, c’est une grande motivation pour réaliser
tout le parcours pour changer de pays. J’ai été diplômé en mai 2013 après un
parcours spécial ; j’ai réussi le concours de l’internat en 2010 et j’ai
choisi la pharmacie hospitalière (j’avais le choix avec la biologie médicale).
J’ai fait un an d’internat et suite à des problèmes de santé, j’ai été en
disponibilité pendant un an. Je suis retourné en 6e année officine
par la suite afin d’avoir rapidement mon diplôme pour rejoindre la personne qui
compte le plus pour moi au Québec et qui avait été là pour moi dans mon épreuve
de santé. J’ai travaillé depuis la 3e année comme étudiant en
pharmacie, et j’ai travaillé comme pharmacien pendant 6-7 mois en France.
Je vais séparer mon propos en
différentes parties afin d’illustrer du mieux possible les différences entre la
France et le Québec. N’hésitez pas à la fin à me faire part de commentaires ou
autres questions si vous avez besoin de plus d’informations. Bonne lecture.
INTRODUCTION
Avant de rentrer dans le vif du
sujet, je souhaite juste faire quelques rappels sur le Québec et le Canada. Le
Canada est un état fédéral, de même que les États-Unis ou le Brésil. Plus
précisément, le Canada est une monarchie constitutionnelle fédérale à régime
parlementaire. La Reine d’Angleterre est la reine du Canada. Cependant, le pays
est autonome et a un premier ministre (Stéphane Harper).
C’est donc un état fédéral,
divisé en dix provinces et trois territoires fédéraux. La province du Québec
n’est qu’une province parmi les 10 autres ! Le Québec est la seule
province francophone. Les autres provinces sont théoriquement bilingues, en
pratique anglophone totalement. N’essayez pas de parler français à Toronto ou à
Vancouver. La capitale de la province de Québec est la ville de Québec. La
capitale du Canada est Ottawa.
Le Québec n’est pas indépendant
du reste du Canada ; l’état fédéral est responsable de l’armée, de
l’assurance chômage, et de pleins d’autres secteurs. Le Québec a le pouvoir de
légiférer dans plusieurs domaines comme l’administration publique, la santé et
l’éducation. Donc la loi sur les professions de santé est propre au Québec.
L’équivalence pour les pharmaciens français est propre au Québec. Tout ce que
je raconte est propre au Québec. Il n’y a pas d’équivalence automatique si on a
un permis au Québec et pour le reste du Canada car notre diplôme est à la base
le diplôme français (et pas un diplôme québécois qui lui est reconnu par le
Canada en général). De même, tout ce que
je décris est valable pour la province du Québec, je ne connais absolument pas
le reste du Canada (c’est un peu comme si vous me demandiez comment ça
marche en Belgique ou en Suisse sous prétexte que ces pays sont aussi en
Europe J).
Pour plus de détails, je vous renvoie à Wikipédia :
La monnaie est le dollar
canadien ; le taux de change n’est pas très bon en ce moment (1€ ~ 1,5
dollars), mais la qualité de vie est excellente.
1.
Formation
initiale
Tout d’abord, pour bien
comprendre pourquoi le Québec demande une équivalence poussée pour exercer au
Québec, il faut comprendre que ce qui est demandé au pharmacien est à la fois
semblable et très différent. On peut commencer à s’en rendre compte rien que
par le déroulement des études.
Je viens de l’université de Châtenay-Malabry
en région parisienne (Paris-Sud). J’ai beaucoup aimé les études, notamment
grâce à sa richesse de contenu. On étudie les sciences biologiques, la
physiologie humaine, la botanique, la biologie cellulaire et moléculaire, les
techniques d’analyses physico-chimiques, la sémiologie, la pharmacologie, la
chimie… Au fils des années, les matières devenaient plus pharmaceutiques
(pathologies cardiaques, rénales, digestives…). Mais avec le recul, je réalise
que des matières importantes pour le pharmacien sont mises en option.
Par exemple, qui a besoin en tant
que pharmacien d’expliquer le processus de purification de l’eau et son circuit
de distribution ? Qui a besoin de connaître par cœur la synthèse détaillée
du glibenclamide ? Qui a besoin quotidiennement de savoir lire le spectre
RMN d’un acide aminé ? Pas grand monde au final. Il est évident que
certains vont devenir chercheurs, ou travailler dans le contrôle
physico-chimique, etc. Mais la grande majorité ira en officine ou à l’hôpital. En
revanche, le cours « Mère et enfant à l’officine » est une option,
tout comme le cours « gériatrie »… Ce n’est pas normal, il devrait
faire partie du cursus normal de tout pharmacien. Je reproche également la trop
grande place donnée à la biologie médicale, sachant que seule une minorité
d’étudiants a pour ambition de devenir biologiste. Au Québec, la biologie
médicale est réservée aux seuls médecins. Personnellement, je pense que le
pharmacien devrait se concentrer sur sa spécialité qu’est le médicament et
laisser la biologie médicale aux médecins. Mais ça c’est mon avis.
Au Québec, les études de
pharmacie ne durent que 4 ans. Mais pour entrer en pharmacie, la compétition
est féroce. L’entrée est plus difficile qu’en médecine en raison d’une
excellente qualité de vie en tant que pharmacien. Au Québec, le système
scolaire est légèrement différent avec notamment les CEGEPS ; ce sont des
établissements pré-universitaires avec une durée d’études de 2 ans. C’est le
début de la spécialisation. Par exemple, pour rentrer en pharmacie, il faut de
préférence avoir étudié dans un CEGEPS spécialisé en sciences de la nature
(d’après ce qu’on m’a expliqué). L’entrée en pharmacie dépend des notes au
CEGEPS et d’un entretien basé sur la motivation / parcours / activités
extra-scolaires. J’ai remarqué que souvent beaucoup d’étudiants faisaient une
autre licence (appelé ici bac) avant d’aller en pharmacie (pharmacologie,
« biologie médicale », chimie…). Donc globalement les études
pré-universitaires et universitaires durent 6 ans (2 ans de CEGEPS + 4 ans de
pharmacie ± autre licence avant).
Il existe deux universités de
pharmacie au Québec, uniquement francophones. L’une est à Montréal et prône un
modèle d’étude par auto-apprentissage. L’autre est à Québec et ressemble plus à
ce que l’on connait avec des cours magistraux et peu de lectures annexes. Mais
les études sont centrées sur le cœur du métier : le médicament, la
pharmacie clinique (appelée ici « soins pharmaceutiques » mais ça
revient à peu près au même quoiqu’en disent les partisans de l’une ou l’autre
appellation), le conseil au patient, etc. Je vous mets en lien les programmes
des deux universités pour que vous puissiez vous en rendre compte
directement :
Les stages sont nombreux
contrairement à la France où l’on se contente du stage de 6 semaines en 2e
année (souvent passé à ranger ou à servir au comptoir sans rien comprendre aux
responsabilités que l’on a), des stages de commentaires d’ordonnance (maximum 4
semaines au total) et du stage de 6e année (6 mois). Ne parlons pas
du stage hospitalo-universitaire qui n’est pas mis suffisamment à profit selon
moi et où de nombreux étudiants y voient un moyen de faire la grasse matinée
pendant un an (pas tout le monde heureusement). Globalement si on ne travaille
pendant les études en France, on peut ne rien savoir de la pharmacie pendant
toutes les études. Au Québec, les stages sont nombreux et aussi bien en
officine qu’à l’hôpital. Au final, les études sont ciblées sur le corps du
métier de pharmacien et prépare l’étudiant à savoir agir en milieu
communautaire (et hospitalier en cas de maitrise (master) en pharmacie
hospitalière). Comme on dit ici, les
études de pharmacie au Québec sont plus adaptées à la pratique.
Les études en France permettent
aux étudiants d’avoir des débouchés très larges, dans de nombreux domaines et
d’avoir un bagage scientifique très important. Cependant, on pourrait nettement
diminuer la formation en chimie et augmenter celle en pharmacie clinique. Donc
pas de regret sur ma formation française, mais pleins d’idées pour
l’améliorer !! Je ne dis pas que le modèle québécois est parfait pour les
études mais un mélange des deux seraient selon moi un excellent compromis pour
former de bons pharmaciens et avoir une culture scientifique importante.
Concernant le coût des études, il
est très faible en France (hormis les prépas pour la première année), soit
environ 400-500€ par année en incluant la sécurité sociale. Au Québec, en
moyenne, cela coûte près de 50.000 dollars apparemment. Donc on débute sa
carrière bien endetté. Sachant que tous les stages réalisés pendant les études
au Québec ne sont pas du tout rémunérés.
Enfin, concernant la pharmacie
hospitalière, il faut passer une maitrise en pharmacie d’établissement (4 mois
de cours et 1 an de stage) pour pouvoir devenir pharmacien hospitalier.
L’avantage par rapport à la France, c’est qu’on est déjà officiellement
pharmacien (Pharm.D) avant de pouvoir passer la maitrise. En France, il faut
passer 4 ans d’internat et c’est uniquement après 9 ans que l’on est
pharmacien. À titre de comparaison, en Suisse, le système est équivalent et on
est d’abord pharmacien, puis on se spécialise en pharmacie hospitalière.
Personnellement, je trouve ça plus logique mais bon, on aime bien les concours
en France. Au Québec, la sélection est sur dossier (niveau scolaire pendant les
études de pharmacie) avec des entretiens pour motivation. Je ne parlerai pas
trop de la pharmacie hospitalière (même si j’en ai eu un bon aperçu via un
stage de 3 mois en 2010).
2.
Rôle
et responsabilités
Le pharmacien est le spécialiste
du médicament ! On dit la même chose en France et au Québec. Notre rôle
est de nous assurer que le patient reçoit le bon médicament ; nous avons
un rôle de fournisseur et un rôle de conseil. Nous avons également le rôle de
contacter le médecin afin de lui signaler toute erreur de prescription. Nous
devons communiquer avec lui pour lui signaler une optimisation nécessaire d’un
traitement.
Voici le lien du site de l’ordre
des pharmaciens du Québec qui décrit les rôles du pharmacien au grand
public :
Cependant, soyons honnête. Notre
rôle est totalement dévalué en France. Nous sommes juste bon à « donner
des pilules ». Il existe d’excellents pharmaciens ; mais nous sommes
plus considérés comme des commerçants en France que comme des professionnels de
santé de première ligne. Au Québec, même si les pharmacies sont situées dans
des chaînes (Jean Coutu, Pharmaprix, Walmart…), le pharmacien est un
professionnel de santé. Dans la pharmacie où je travaille au Québec, on ne m’a
jamais dit « tu dois absolument vendre deux ou trois produits conseils à
chaque client qui se présente ». Au contraire, si un patient vient me
poser une question « est-ce que ce complément alimentaire sert à quelques
chose ? Avez-vous des vitamines pour éviter d’être malades ? Que
pensez-vous des omégas 3 ? Que me conseillez-vous pour mon
rhume ? », je dois répondre avec professionnalisme et c’est
fréquemment que j’explique au patient que ce qu’il veut acheter ne sert à rien.
Je suis sûr qu’il y a pleins d’excellents pharmaciens en France, mais je trouve
dommage que l’on fasse 6 ans d’études pour finalement vendre des boites. Et que
pour compenser la baisse des marges on se mette à vendre tout et n’importe quoi
en pharmacie (des chaussures, des produits miracles pour les cheveux, des
bracelets magiques anti-moustiques, des lunettes…). Le pire étant que c’est le titulaire
qui choisit généralement de vendre ces produits.
Au Québec, même si la pharmacie
est remplie de trucs inutiles, c’est bien souvent la chaine qui impose la
présence de ces produits. Et ce n’est pas à moi de prendre la pointure de Mme
Michu pour qu’elle puisse acheter ses chaussures S**** super confortables, ni à
l’aider à choisir parmi les différents modèles de lunettes de soleil. Il y a
des gens dont c’est le métier de vendre des chaussures ou des lunettes. Au
Québec, je peux être poursuivi par l’Ordre des pharmaciens si je conseille à
quelqu’un qui va dans un pays infesté de moustiques de l’homéopathie ou un
bracelet magique. Mon rôle est au contraire de le prévenir que cela ne sert à
rien et que seul un produit contenant un certain pourcentage d’insectifuge a
une efficacité démontrée, selon les recommandations sanitaires en vigueur, etc.
La phytothérapie et autres
produits naturels sont hors du monopole pharmaceutique mais il peut arriver que
l’on conseille sur leur utilisation (ou bien souvent sur leur non utilisation
quand il y a des preuves que ça ne sert à rien ou que c’est dangereux). Par
exemple la glucosamine dans l’arthrose est en vente libre, et si un patient me
demande mon avis, je lui explique que les études ne montrent pas de différence
avec un placebo. Libre à lui de l’acheter ou pas ensuite. Quand quelqu’un me
pose une question sur l’homéopathie, je réponds franchement que je doute de
l’efficacité réelle du produit mais que s’il souhaite l’essayer c’est son
choix. Je dois néanmoins toujours m’assurer que le patient ne présente pas des
signes d’alertes nécessitant une consultation médicale. Des pharmaciens ont été
poursuivis par l’Ordre au Québec pour avoir conseillé à des patients de
consulter des naturopathes ou des homéopathes car ces professions ne sont
absolument des professionnels de santé au Québec.
Une nouvelle loi rentrera bientôt
en vigueur au Québec pour augmenter les responsabilités du pharmacien :
droit de prescription pour des pathologies ne nécessitant de diagnostic
(prophylaxie paludisme, vitamines chez la femme enceinte, etc.) ou quand le
diagnostic est connu et la maladie bénigne (bouton de fièvre (car l’aciclovir
même en crème est sur prescription), cystite non compliquée…). Le cadre est
très précis (par exemple, pour les infections urinaires, un diagnostic doit
avoir été fait par un médecin depuis moins de 12 mois et un traitement pris
depuis moins de 12 mois, il faut qu’il ait eu moins de 3 épisodes dans l’année
et qu’il ne s’agisse pas d’un échec d’un premier traitement). On pourra
également prescrire des analyses biologiques (en s’assurant d’abord qu’elles
n’existent pas). Le site de l’ordre explique bien nos nouvelles missions (qui nécessitent une
formation complémentaire) :
Autre point positif : les
ordonnances collectives. En gros, ce sont des ordonnances pré-signées par les
médecins qui délèguent au pharmacien (ou à une infirmière) la possibilité d’initier
une thérapie. Par exemple, là où je travaille, j’en ai une pour prescrire des
décongestionnants à la cortisone pour la rhinite allergique, ou pour prescrire
des patchs à la nicotine (couverts par les assurances), ou encore prescrire des
médicaments contre la constipation en cas de thérapie médicamenteuse pouvant
entrainer cet effet secondaire. C’est mon rôle de prescrire mais aussi de faire
le suivi de l’efficacité (lors des visites du patient ou en l’appelant à la
maison).
Néanmoins, le rôle du pharmacien
s’explique aussi par les difficultés à voir un médecin : temps d’attente
+++ pour avoir un médecin traitant, environ 1-2 mois d’attente pour prendre
rendez-vous dans le secteur public, fermeture des cliniques sans rendez-vous
tôt dans la journée. Bonne chance pour voir un médecin à partir de 13h.
Résultat, bon nombre de personnes file directement aux urgences pour voir un
médecin (et encombre celles-ci). C’est vraiment un problème majeur cet accès au
médecin au Québec. D’où la multiplication du rôle du pharmacien, mais aussi des
infirmières.
Concernant les préparations
magistrales, rien de particulier, c’est comme en France. Il y a une
augmentation des normes pour les préparations ce qui oblige à sous-traiter avec
des officines qui se sont spécialisés (préparations stériles injectables,
préparations complexes).
Enfin, concernant le maintien à
domicile, on vend du matériel en pharmacie, mais il y a des magasins plus
spécialisés qui s’occupent du maintien à domicile (location, etc.). Il y a
aussi un peu d’orthopédie mais encore une fois, c’est souvent laissé dans des
boutiques spécialisés par des professionnels qualifiés (et je suis bien content
de ne plus à prendre des tours de cheville car ça m’énervait beaucoup !).
J’ai l’air un peu fâché avec les
pratiques françaises, mais habitant la région parisienne, je me suis désolé
pendant mes études du non professionnalisme des personnes avec qui j’ai pu
travailler. Je ne connais pas la situation dans les différentes régions de
France, ni dans toutes les pharmacies d’Ile-de-France non plus. Mais j’ai quand
même travaillé dans des pharmacies où le titulaire pouvait expliquer à un
patient « que l’hépatite B ce n’était pas grave et que seul les gens
vivant dans la jungle pouvaient l’avoir », dans une autre pharmacie
« c’est madame untel, on lui vend toujours deux boites de bromazépam tous
les mois sans ordonnance, c’est normal elle paie », ou encore « oui
oui on facture les médicaments sur l’ordonnance mais on lui donne de la
parapharmacie au lieu des médicaments ». Je ne dis pas qu’aucun pharmacien
au Québec ne fait de telles pratiques, mais je trouve que pour ma courte
expérience en France (3 ans comme étudiant dans deux pharmacies différentes,
puis quelques mois en intérim dans 7-8 pharmacies différentes en Ile-de-France),
j’en ai vu des vertes et des pas mûres.
3.
Organisation
des officines
Rapidement, les pharmacies sont
soit des chaines, soit des bannières (ou franchises), soit indépendantes… Dans
tous les cas, le pharmacien est le seul propriétaire au Québec (c’est différent
dans le reste du Canada). La partie pharmacie est toujours délimitée et seul
les médicaments et autres produits de soin (appareillage médical, pansements,
etc.) peuvent se trouver dans cette zone. Le reste du magasin peut être un commerce
comme les autres (supermarché, parapharmacie géante, etc.). Cette partie peut
être ou non la propriété du pharmacien. Par exemple, chez Wal-Mart, seule la
section pharmacie appartient au pharmacien, le reste appartient à la chaine. Dans
le cas des franchises, le pharmacien a peu de contrôle sur ce qu’il vend, mais
il a toute la liberté de conseiller ou non les produits. Et on n’a quasiment
aucun conseil à faire en parapharmacie ou à vanter les mérites de telle ou
telle crème miracle contre les rides, il y a des cosméticiennes dont c’est le
travail à plein temps de faire ça dans les grosses pharmacies. La loi distingue
la partie commerciale de la pharmacie, et la pharmacie en tant que telle. La
pharmacie ne peut être ouverte qu’en présence d’un pharmacien.
Contrairement à la France, le
patient ne conserve pas son ordonnance. Elle est enregistrée dans le système
informatique. Si le patient souhaite changer de pharmacie, on doit réaliser un
transfert d’ordonnance en communiquant toutes les informations de l’ordonnance
à la pharmacie qui reçoit le transfert (par téléphone ou par fax) : nom du
médicament, posologie, prescripteur, nombre de renouvellements restants, etc.
4.
Le
personnel
Il n’existe pas de préparateur en
pharmacie. Ce sont des assistants techniques. Ils ont parfois une formation
mais souvent ils sont formés « sur le tas ». Leur rôle est d’aider le
pharmacien dans toutes les tâches techniques : recueil des informations
quand le patient apporte une ordonnance (ouverture du dossier, adresse,
allergie, autres médicaments), comptage des comprimés, gestion du tiers payant
et des problèmes d’assurances, caisse… Bien entendu cela dépend de la taille
des pharmacies. On mesure une pharmacie au nombre d’ordonnances par jour (une
ordonnance = une ligne de prescription au Québec ; par exemple si sur la
prescription il y a rosuvastatine et ramipril, cela fait 2 ordonnances). Une
pharmacie moyenne en fait 300 par jour. Plus il y a d’ordonnances, plus il faut
de personnel technique et plus il faut de pharmaciens pour encadrer le
personnel technique. Par exemple, là où je bosse on est 4 pharmaciens, pour une
dizaine de personnel technique et un volume de 700-800 ordonnances par jour, ce
qui est beaucoup. Une petite pharmacie avec 100 ordonnances par jour peut se
débrouiller avec un pharmacien et un assistant technique dans la journée.
5.
Relations
avec les médecins
C’est partout pareil ; ça
dépend du médecin et ça dépend du contexte. Mais globalement j’ai plus
d’échanges avec les médecins au Québec. Bien sûr je n’ai jamais travaillé dans
une petite pharmacie dans un village avec le pharmacien qui connait très bien
le médecin du coin. Cependant, au Québec les échanges sont plus fréquents avec
les médecins qui reconnaissent bien volontiers notre rôle. Quelques exemples
d’interactions fréquentes :
§ L’opinion pharmaceutique ; au vue
du dossier d’un patient, je fais une suggestion au médecin pour améliorer la
pharmacothérapie. Par exemple, l’autre jour un patient est venu renouveler son
inhalateur de salbutamol et son corticostéroïde inhalé comme il le fait tous
les mois. Sauf qu’en parlant avec lui, je me rends compte qu’il utilise son
salbutamol presque une fois par jour et qu’il est parfois réveillé la nuit par
une crise d’asthme. Je décide donc de contacter le médecin pour lui suggérer
d’ajouter un β2-mimétique à longue durée d’action afin d’améliorer le contrôle
du patient, selon les recommandations en vigueur. Le médecin a accepté et a
demandé qu’on avise le patient de prendre rendez-vous avec lui d’ici un ou deux
mois afin de réévaluer la situation.
§ La
prescription verbale : le
médecin appelle pour prescrire verbalement ; je prends note de la
prescription et je dispense le médicament. Mais pendant ma discussion avec le
médecin, j’ai aussi la possibilité de poser quelques questions sur le patient
ou de l’aviser d’une interaction. Par exemple, l’autre jour un médecin
m’appelle pour adapter une dose de furosémide ; par curiosité je demande
pourquoi et il m’explique rapidement les raisons. Du coup au lieu d’être un
simple exécutant de l’ordonnance, je comprends pourquoi ce changement a été
fait.
Après il y a les mêmes appels
qu’en France : interaction, contre-indication, etc. Souvent le médecin
demande « que conseillez-vous ? ». Je ne peux pas juste appeler
en disant « y’a une interaction, on fait quoi ? ». Je dois
proposer une solution. Par exemple, l’autre jour un monsieur avec une infection
urinaire ; son médecin prescrit de la ciprofloxacine. Or le patient prend
un β-bloquant, un diurétique, un laxatif, a une insuffisance cardiaque
avancée ; la ciprofloxacine peut augmenter le risque d’arythmie (QT) dans
certains cas (surtout la moxifloxacine, mais quelques cas ont été décrit pour
la ciprofloxacine, la lévofloxacine, l’ofloxacine…). J’appelle donc le médecin
pour confirmer ou non la prescription sachant les facteurs de risque du patient
(bradycardie, hypokaliémie, pathologie cardiaque). Celui-ci me demande alors
« vous avez raison, que suggérez-vous pour remplacer ? ».
Ces échanges sont très
enrichissants et rendent le travail passionnant. On se sent réellement un
acteur dans le soin du patient. C’est un des avantages à exercer au Québec.
Bien sûr c’est comme partout, il
y aura toujours des médecins qui vous diront « de quoi se mêle le
pharmacien, c’est moi le médecin et c’est moi qui décide ». Mais
globalement, les échanges sont bons.
6.
Salaire
La question qui tue :
l’argent ;). Le salaire au Québec est excellent. Je vous invite à
consulter le site du gouvernement du Québec sur les perspectives d’emploi et le
salaire.
Globalement, le salaire dépend de
la région d’exercice. Dans l’ile de Montréal, le salaire initial est d’environ
55-60 dollars de l’heure. On est moins payé en pharmacie hospitalière (malgré
des études supplémentaires). En moyenne le salaire annuel peut aller de 80.000
à 150.000 dollars. Les missions d’intérim sont très bien payées car elles
peuvent aller jusqu’à plus de 100 dollars de l’heure (avec paiement des frais
de déplacement par exemple).
Le pharmacien est payé à
l’honoraire. On vent le médicament au prix coutant, plus un honoraire (variable
selon le médicament, le mode de distribution (pilulier ou autre), et les
assurances du patient). Certains autres actes sont rémunérés par un honoraire
également (opinion pharmaceutique, transmission d’un profil pharmaceutique pour
les patients à l’urgence, refus de dispensation en cas de contre-indication ou
interaction par exemple, prescription de la contraception orale). Cependant, en
tant que salarié, on a un salaire fixe ; le propriétaire touche le reste
des honoraires.
Le volume horaire est
variable ; dans ma chaine de pharmacie, un temps plein est de 28h minimum
par semaine. Il n’y a pas d’horaire fixe c’est très flexible. Cela doit
surement dépendre de la pharmacie. Il est possible de faire aussi du mi-temps.
Dans ma pharmacie, les heures d’ouverture vont de 9h à 22h 7 jours sur 7. Donc
parfois je bosse le samedi ou le dimanche (pas payé plus). Mais j’ai souvent 3
jours de suite sans bosser. En moyenne, je fais une trentaine d’heure par
semaine. Finalement, je travaille moins qu’en France, j’ai l’impression d’avoir
plus de temps et je gagne beaucoup plus J. Mais ça dépend des pharmacies : il y a de
petites pharmacies indépendantes ouvertes du lundi au vendredi de 9h à 17h.
Elles sont généralement attachées à des cabinets médicaux (qu’on appelle « clinique »
au Québec).
7.
L’équivalence
L’équivalence !!! Depuis
2010, un accord entre la France et le Québec a reconnu la formation de
pharmacien entre les deux pays (enfin pays et province du Canada). Je vous
invite à consulter le site de l’Ordre pour les informations précises :
Tout d’abord, il faut être
résident canadien : pas de résidence, pas d’équivalence !! Dans mon
cas ça été facile j’ai été parrainé par ma douce moitié et j’ai eu ma résidence
permanente du Canada en quelques mois. Mais sinon il faut environ 1 à 2 ans
pour avoir la résidence et c’est très sélectif (langue, niveau scolaire, casier
judiciaire, problèmes de santé…). Globalement, si tu es serveur, tu as 45 ans
et tu es traité pour un trouble psychotique, tu as peu de chance d’avoir un
visa directement (on peut même dire que sans parrainage c’est impossible). Un
ingénieur jeune de 30 ans en bonne santé n’aura aucun problème. De même un
pharmacien jeune et dynamique ;).
Ensuite, il faut être Docteur en
Pharmacie (ou Pharmacien) en France, et être inscrit à l’ordre. Donc pas de
thèse, pas le droit de faire l’équivalence (une pensée à mes amis de fac qui
font parfois leur thèse sur deux ans J). Puis il faut choisir parmi deux parcours :
§ Examen
fédéral appelé BEPC (partie orale uniquement, appelée « examen
d’aptitude »)
§ Cours
de 2 ans de remise à niveau en pharmacie clinique et soins pharmaceutiques
Les jeunes sortis fraichement de
l’université ont intérêt à prendre la première voie, à condition d’avoir une
bonne expérience en officine. Car l’examen oral c’est un examen d’aptitude du pharmacien
centré sur la pharmacie clinique. Cet examen est obligatoire pour tous les
canadiens, sauf les québécois. Il y a une partie écrite et une partie orale.
Nous autres français n’avons que
la partir orale à faire. Je ne peux malheureusement pas vous en parler
précisément car j’ai signé un document attestant que je ne parlerai pas du
contenu de mon examen. Je vous invite à consulter le site internet de
l’organisme qui s’occupe de cet examen pour plus de détail.
Lisez les parties « À propos
de la partie II » et « Se préparer à la partie II ». En gros, ce
sont des ateliers pratiques de conseil au patient, d’analyse d’ordonnances, de
vérification de piluliers, d’aide à la
prescription au médecin, etc. On a le droit à des ouvrages de référence. Ce
n’est pas difficile, mais il y a des pièges. Les cas sont généralement simples
(expliquer un traitement, orienter le patient vers un médecin s’il présente des
signes d’alertes). Mais c’est très stressant et il faut bien se préparer. Sur
leur site il y a des exemples de situations dans la partie « formulation
des questions partie II ». Je vous cite le début :
Formulation des questions - Partie II (ECOS)
La partie II de l'examen d'aptitude consiste en des simulations («
postes ») interactives et non interactives.
À chaque poste on vous demande d'exécuter une ou plusieurs tâches de
courte durée comme :
• conseiller ou répondre aux questions d'un « Patient normalisé » ou «
Client normalisé »
• entrer en interaction avec un « Patient normalisé », un « Client
normalisé » ou un
« Professionnel de la santé normalisé » afin de résoudre un problème
lié à la pharmacothérapie ou d’ordre moral
• répondre par écrit à un message ou une demande de renseignement ou de
conseil
• faire le triage ou l'évaluation de nouvelles prescriptions
• faire la vérification de l'ordonnance préparée avant sa remise au
patient.
On peut vous demander de choisir la meilleure option thérapeutique
possible et de justifier votre choix. À titre d'exemple, dans une simulation où
il est question de répondre à un patient qui demande de l'aide dans la
sélection d'un médicament de vente libre pour soulager les symptômes du rhume,
un nombre restreint de produits sera en étalage et il y aura une ou plusieurs
options valables/non valables. Même si vous croyez qu'il en existe de
meilleures, vous devez choisir la meilleure parmi celles qui sont offertes dans
la simulation.
En toute situation, on s’attend à ce que vous fassiez montre de
jugement professionnel et/ou moral et agissiez dans l’intérêt véritable du
patient afin de lui dispenser de bons soins. Dans la plupart des cas, on vous
demandera d’aider le client d'une manière quelconque, pendant sa présence au
poste, et ne pas vous contenter de le diriger vers un autre professionnel de la
santé ou de déclarer que vous allez le rappeler plus tard pour lui donner la
réponse (mais vous pouvez orienter le patient ou offrir de le rappeler, en plus
de lui apporter l'aide appropriée).
Les problèmes d’ordre moral ce n’est vraiment pas cool, croyez-moi !!!
Ensuite, il y a un examen de loi
sur le système de santé au Québec ; il peut être fait en parallèle, ce
n’est pas compliqué, c’est un gros livre à lire et à répondre à des questions.
Enfin, un stage de 600 heures en officine ou à l’hôpital, un rapport de stage,
et c’est gagné.
Ce n’est pas compliqué mais c’est
long !! Pourquoi ? Car il n’y a que 2 dates par an pour l’examen
fédéral : mai et novembre. Et il faut s’inscrire plusieurs mois à
l’avance. Pour vous donner une idée de mon parcours :
- Demande
de résidence permanente en octobre 2012
- Résidence
permanente accordée en février 2013 (rapidité
car j’ai été parrainé !! sinon c’est 1 an ou 2 parfois)
- Thèse
d’exercice en mai 2013
- Envoi
du dossier d’équivalence à l’ordre des pharmaciens du Québec en juin 2013
- Inscription
à l’examen fédéral en juillet 2013 (date limite en août)
- Arrivée
au Québec en août 2013
- Travail
comme assistant technique pour observer d’août à fin décembre 2013
- Examen
fédéral en novembre 2013
- Examen
de loi du Québec en décembre 2013
- Résultats
des deux examens fin décembre 2013
- Stage
de janvier à fin avril 2014 (rémunéré dans mon cas)
N’oublions pas le prix ;
environ 2500 dollars en tout ! Et c’est parce que j’ai tout réussi du
premier coup. Chaque examen fédéral coûte 1500 dollars ! Et en cas d’échec
il faut repayer la même somme.
Je ne parlerai pas de la
formation de 2 ans en cas de trois échecs à l’examen fédéral ou en cas de choix
direct de cette voie car je ne l’ai pas fait. Je sais juste qu’il y a un
entretien avant d’être accepté à l’université pour faire cette voie. Et je rappelle que cette équivalence est
valable au Québec, et pas dans le reste du Canada. Chaque province a ses
particularités (et pas de reconnaissance mutuelle comme avec le
Québec) !
Pour information, sachez qu’un
pharmacien québécois n’a juste à faire que le stage de 6 mois pour avoir son
équivalence. Doit-on comprendre que le travail de pharmacien en France est
moins pris au sérieux ? Ou que nos compétences sont inférieures aux
leurs ? Pourquoi doit-on se farcir un examen super compliqué ? Bref
c’est un autre débat.
Dans mon cas j’ai été chanceux
car j’ai travaillé dans une pharmacie super, avec un propriétaire jeune qui m’a
confié des responsabilités rapidement pendant mon stage. Cela m’a beaucoup aidé
à réussir ces épreuves.
CONCLUSION
J’espère que cette ébauche vous
illustrera un peu la pharmacie au Québec et mon parcours. Si vous avez des
questions, n’hésitez pas J.
Je n’ai pas abordé les points noirs (surmédicalisation, excès de prescription
des psychotropes, et autres choses qui me choquent en Amérique du Nord).
Peut-être une autre fois ? Bonne continuation à tous.
Thomas.